La Chambre a adopté en séance plénière ce 22 février 2024 une importante modification du Code pénal. Parmi les nombreuses dispositions qu’elle contient, on y retrouve l’insertion d’une nouvelle infraction : le crime d’écocide. Que recouvre cette nouvelle incrimination ? Quel est son champ d’application ? Cette nouvelle infraction sera-t-elle concrètement applicable ?
1. Définition du crime d’écocide
L’article 94 §1er nouveau du Code pénal définit le crime d’écocide de la manière suivante :
« Le crime d’écocide consiste à commettre délibérément, par action ou par omission, un acte illégal causant des dommages graves, étendus et à long terme à l’environnement en sachant que cet acte cause de tels dommages, pour autant que cet acte constitue une infraction à la législation fédérale ou à un instrument international qui lie l’autorité fédérale ou si l’acte ne peut pas être localisé en Belgique », et ce, qu’il soit commis en temps de paix ou de guerre.
2. L’élément matériel de l’infraction
En ce qui concerne l’aspect matériel de l’infraction, le législateur requiert la réunion des éléments suivants :
– Un acte illégal ;
– L’existence d’un dommage grave, étendu et à long terme à l’environnement.
L’exposé des motifs précise ce qu’il y a lieu d’entendre par acte « illégal ». « Le terme “illégal” se réfère à tout comportement qui serait en infraction avec le droit international ou le droit interne. En s’inspirant de la proposition de directive relative à la protection de l’environnement par le droit pénal et remplaçant la directive 2008/99/CE, il convient également de préciser que l’acte est réputé illégal même s’il est exercé sur autorisation d’une autorité compétente de l’État lorsque l’autorisation a été obtenue frauduleusement ou par corruption, extorsion ou contrainte » (Exposé des motifs, Parl., Ch., Sess. 2022-2023, n°3518/001, p. 104).
À la suite d’une remarque du Conseil d’Etat, le texte limite fortement la portée de l’incrimination et la proposition de la commission d’experts chargés de la réforme du droit pénal belge ayant rédigé le projet de texte n’a pas été retenue (Exposé des motifs, Parl., Ch., Sess. 2022-2023, n°3518/001, p. 100 à 104). Elle incluait à la fois les actes « illégaux ou arbitraires » et avait une portée bien plus importante.
Le comportement doit constituer une infraction à la législation fédérale ou à un instrument international qui lie l’autorité fédérale ou un acte qui n’est pas localisé en Belgique. En cette dernière hypothèse, mis à part les dommages causés en Mer du Nord ou par des radiations ionisantes ou des déchets radioactifs ou encore relatifs à la protection de l’environnement et à la régulation des activités menées sous juridiction belge en Antarctique, une législation fédérale spécifique incriminant les atteintes à l’environnement en dehors de la Belgique et définissant ainsi ce qui constitue un acte illégal devra être adoptée pour que le dispositif puisse être effectif.
Compte tenu du peu de normes contraignantes en droit international de l’environnement, et de la régionalisation des compétences environnementales, le champ d’application de la nouvelle disposition semble très peu étendu.
En ce qui concerne l’existence d’un dommage grave, étendu et à long terme pour l’environnement, les travaux préparatoires précisent qu’ « afin de ne pas étendre considérablement le champ d’application, il est choisi de rendre les trois critères cumulatifs » (Exposé des motifs, Parl., Ch., Sess. 2022-2023, n°3518/001, p. 105). Là encore, le champ d’application de la loi est encore réduit.
L’article 94 précise ce qu’il faut entendre par :
« a) “dommage grave”: les dommages qui entraînent des changements, perturbations ou atteintes négatifs hautement préjudiciables à une quelconque composante de l’environnement, y compris des répercussions substantielles sur la vie ou la santé humaine, sur la biodiversité ou sur les ressources naturelles, culturelles ou économiques pour la société;
b) “dommage étendu”: les dommages qui s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, qui traversent les frontières d’une région ou d’un État ou qui sont subis par un écosystème entier ou une espèce entière ou un nombre important d’êtres humains;
c) “dommage à long terme”: les dommages qui sont irréversibles ou qui ne peuvent être réparés par régénération naturelle dans un délai raisonnable;
d) “environnement”: la terre, ses écosystèmes, sa biosphère, sa cryosphère, sa lithosphère, son hydrosphère, son atmosphère, ainsi que l’espace extra-atmosphérique ».
3. L’élément moral de l’infraction
En ce qui concerne l’élément moral, le législateur opte pour le dol général. « Il faut prouver qu’un acte intentionnel a causé des dommages graves, étendus et à long terme, en connaissance que cet acte cause de tels dommages » (Exposé des motifs, Parl., Ch., Sess. 2022-2023, n°3518/001, p. 105).
L’acte allégué doit être commis « délibérément » et « en sachant que cet acte cause » des dommages environnementaux. Pareille exigence s’avèrera difficilement praticable dans le contexte de l’écocide en raison de la nature souvent imprévisible des dommages environnementaux. Tel que proposé, le texte permet aux négligents d’éluder leur responsabilité mais également aux autres s’ils démontrent le caractère incertain du dommage résultant de leur comportement ou l’inconscience qu’ils avaient de cette possibilité.
4. La peine
Le paragraphe 2 de l’article 94 nouveau du Code pénal prévoit que le crime d’écocide se situe au sixième rang d’une échelle de peines comprenant huit niveaux. Cela signifie que la violation de la disposition implique des peines de quinze à vingt ans de prison et, pour les personnes morales, des amendes de 1,2 à 1,6 million d’euros.
5. L’entrée en vigueur du dispositif
L’entrée en vigueur du nouveau Code pénal interviendra deux ans après sa publication au Moniteur belge, soit, en principe, dans le courant de l’année 2026, l’a loi n’ayant pas, au jour de la rédaction de la présente note, été publiée au Moniteur belge.
Conclusion
Le champ d’application de l’incrimination de crime d’écocide est très peu étendu, tant en ce qui concerne ses aspects matériels qu’en ce qui concerne l’élément moral qu’elle requiert.
Sa répression se limitera, en ce qui concerne la législation belge, aux dommages causés en mer du Nord et aux dégâts résultant de radiations ionisantes ou de déchets radioactifs. Elle ne concernera les actes qui ne peuvent pas être localisés en Belgique, autres que ceux évoqués ci-avant et le dommage écologique causé en Antarctique lors d’activités menées sous juridiction belge, qu’en présence d’une réglementation fédérale concrète concernant les dommages environnementaux à l’étranger qu’il convient encore d’adopter.
En outre, pour être imputée moralement, il faudra démontrer que l’acte ne provient pas d’une simple négligence mais que son auteur a agi sciemment et en sachant que cet acte causerait un dommage environnemental.
Dès lors, bien qu’elle se veuille le symbole de l’engagement dans la lutte pour l’environnement, en raison de la limitation de son champ d’application, celle-ci risque et de ne pas être d’une grande utilité pour prévenir et lutter contre les catastrophes environnementales.
Espérons qu’une loi intervienne rapidement afin d’étendre son champs d’application pour les actes non localisés en Belgique et que les régions emboitent le pas dans leurs domaines de compétences.