Le schéma directeur : un acte administratif inattaquable ?

 Selon la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, un schéma directeur est un document d’orientation[1],  « couvrant l’ensemble des zones soumises à l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier  ‘nouveau quartier’ »[2]. Le schéma directeur a succédé au « plan directeur », qui avait pour objectif de garantir l’intégration urbanistique d’un PAP dans son environnement naturel et bâti immédiat et d’assurer les jonctions fonctionnelles (réseaux, voiries, infrastructures publiques, etc.) avec les zones limitrophes[3].

Cependant à la différence du plan directeur qui faisait partie du rapport justificatif et qui était dès lors un document repris dans une pièce du dossier du plan d’aménagement particulier[4] (PAP), de sorte qu’il constituait en quelque sorte un simple exposé des motifs du PAP, sans évidement avoir de caractère contraignant et hiérarchiquement supérieur au PAP concerné, le schéma directeur lui, est un document élaboré parallèlement à une modification ou à une refonte du plan d’aménagement général (PAG), puisqu’ils sont repris dans un chapitre de l’étude préparatoire du PAG[5].

En outre, si l’article 29 (2) de la loi précitée, dans sa version actuelle, pose comme base que le PAP est « orienté » par le schéma directeur, l’alinéa 3 du même article énonce que « Le schéma directeur peut être adapté ou modifié par le plan d’aménagement particulier «nouveau quartier» à condition qu’une telle modification ou adaptation s’avère indispensable pour réaliser le plan d’aménagement particulier «nouveau quartier», respectivement pour en améliorer la qualité urbanistique, ainsi que la qualité d’intégration paysagère ».

En d’autres termes, un PAP NQ est nécessairement subordonné au respect du schéma directeur, qui lui est donc juridiquement hiérarchiquement supérieur, sauf dans l’hypothèse où une dérogation serait acceptée par le conseil communal sous le contrôle ultérieur de l’autorité de tutelle, c’est-à-dire, soit si ces derniers considèrent que l’adaptation du schéma directeur par le PAP NQ est « indispensable pour réaliser le PAP » ou bien que la dérogation au schéma directeur est « indispensable » « pour en améliorer la qualité urbanistique ainsi que la qualité d’intégration paysagère ».

La position d’un promoteur voulant initier un PAP NQ qui serait contraire aux prescriptions urbanistiques ou environnementales fixées par le schéma directeur, s’avèrera donc délicate. Soit l’autorité communale est d’accord de considérer que ses justifications urbanistiques sont suffisantes pour accepter une dérogation au schéma directeur, soit elle ne l’est pas, et le PAP NQ du promoteur sera refusé par le conseil communal.

Si une commune accepte d’accorder une dérogation au schéma directeur, force sera alors de constater que cette dernière dispose d’une marge d’appréciation importante que le contrôle de la dérogation par les juridictions administratives restera en principal marginal (voir notamment C.A., 20 juin 2019, n° 42280C). Ceci s’explique notamment par le fait que l’amélioration ou non de la qualité urbanistique d’une dérogation par rapport à des options de développements (emplacement des voiries et équipements publics, répartition sommaire des densités de construction et des types d’affectation par exemple), est en grande partie une question de point de vue.

Au vu de ce qui précède, le caractère contraignant (sous réserve de dérogations) du schéma directeur saute aux yeux.

Au vu de ces constats, et en bonne logique juridique, il conviendrait de conclure que le PAP NQ, acte réglementaire, est soumis au respect de prescriptions hiérarchiquement supérieures fixées par le schéma directeur. Ce dernier aurait alors nécessairement la valeur d’un acte administratif réglementaire (ils sont indirectement approuvés par le conseil communal lors du vote du PAG), pouvant faire grief, et à ce titre, susceptible de recours.

Curieusement, à tout le moins de notre avis, les juridictions administratives n’ont pas statué en ce sens.

Jugé ainsi que « Le schéma directeur constitue une composante de l’étude préparatoire sur base de laquelle un projet d’aménagement général est élaboré et constitue donc un élément préalable à l’élaboration ou la modification d’un plan d’aménagement général. Il est partant à considérer comme instrument d’orientation du développement urbain, dépourvu d’effet juridique direct. Ainsi, un schéma directeur n’est pas une fin en soi, en ce qu’il ne s’agit que d’un instrument de planification, ayant pour objet, notamment, de déterminer les orientations servant à définir et à délimiter les zones du projet d’aménagement général et à élaborer les projets d’aménagement particulier «nouveau quartier ». Il s’ensuit, d’un côté, qu’un schéma directeur en tant qu’acte préparatoire d’un PAG, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une annulation par le juge administratif, et, de l’autre côté, qu’une erreur affectant un tel schéma ne saurait justifier l’annulation du plan d’aménagement général que si elle a eu pour conséquence concrète des choix urbanistiques contraires à l’intérêt général »[6].

En appel, la Cour administrative a considéré que « Le contenu du schéma directeur étant appelé à orienter le contenu d’un futur PAP NQ, les règles d’urbanisme en découlant feront partie intégrante du PAP NQ et pourront faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans le cadre d’un recours contre le PAP NQ. En cela, la Cour est amenée à se limiter à ce seul constat, les conséquences à tirer par les autorités compétentes du contenu du schéma directeur dans le contexte de l’élaboration du PAP NQ échappant actuellement à l’office de la juridiction administrative saisie. » (C.A., 6 mai 2021, n° 44457C du rôle).

Nous sommes d’avis que les juridictions administratives positionnent mal la problématique. Tout d’abord, la conclusion suivant laquelle le schéma directeur revêtirait le caractère d’un « acte préparatoire », se base sur des travaux préparatoires du projet de loi n° 6023[7] et sur la circonstance que le schéma directeur a été repris dans l’étude préparatoire du PAG – précisément afin d’éviter une possibilité de recours contre ledit acte – tout en mettant de côté les effets juridiques concrets dudit schéma directeur.

En d’autres termes, nous considérons que sur ce point, les juridictions administratives accordent plus d’importance à la forme de l’acte, qu’à sa substance, à sa portée, à ses effets juridiques concrets, tels que fixés par la loi.

Pourtant, le schéma directeur répond en tous points à la définition d’un acte administratif réglementaire. Il s’agit d’un document d’urbanisme juridiquement contraignant, qui s’applique de manière générale et abstraite, à un nombre indéfini de situations. Si le schéma directeur couvre une zone de 10 hectares, il est susceptible de s’appliquer à un nombre inconnu de PAP NQ qui seront adoptés en exécution de ce dernier, par exemple, 10 PAP différents, portant chacun sur une zone d’un hectare, ou 5 PAP sur une moyenne de 2 hectares.

Un recours direct contre le schéma directeur devrait donc, théoriquement, être déclaré recevable en vertu de l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif. Rappelons que les juges administratifs considèrent à l’inverse qu’un tel recours, dirigé contre un tel « acte préparatoire », est irrecevable, à tort donc selon nous.

Le point de vue des juges administratifs nous parait – au-delà de la polémique sur la question de savoir si le schéma directeur est un acte administratif susceptible de recours ou non – peu réaliste, en ce que le contrôle opéré vis-à-vis dudit schéma directeur est reporté au stade de la procédure d’adoption d’un PAP.

En effet, la Cour a précisé, pour rappel, que « les règles d’urbanisme en découlant [du schéma directeur] feront partie intégrante du PAP NQ et pourront faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans le cadre d’un recours contre le PAP NQ. ». Cette position nous semble peu réaliste en pratique puisqu’un propriétaire d’un ou plusieurs terrains repris dans un schéma directeur qu’il estime non conforme à la loi ou à un principe constitutionnel (par exemple, le principe de proportionnalité), ne pourra contester les contraintes urbanistiques de ce document qu’après l’approbation de la procédure d’adoption du PAG qui l’accompagne, pour, dans un second temps, introduire un PAP qui serait contraire à ce schéma directeur. Ce n’est qu’à la suite du refus d’approbation du PAP, basé sur les prescriptions jugées illégales, et non respectées par le PAP, que le propriétaire en question pourra introduire un recours contre le refus du PAP, et dans ce cadre, contester par voie incidente, le schéma directeur.

Cette solution part du postulat que le juge administratif devrait alors contrôler la légalité du schéma directeur, nécessairement, en application de l’article 102 de la Constitution suivant lequel « Les juridictions n’appliquent les lois et règlements que pour autant qu’ils sont conformes aux normes de droit supérieures ». Ce contrôle incident implique alors une contrariété dans l’argumentation de la Cour, puisqu’il n’est possible que vis-à-vis des actes réglementaires ou des lois, mais non vis-à-vis des actes préparatoires que sont censés être les schémas directeurs suivant la jurisprudence de cette dernière.

Il faut dire aussi que contrairement à ce qu’avance la Cour dans l’arrêt précité, les règles d’urbanismes découlant du schéma directeur, ne font partie intégrante du PAP NQ, que dans l’hypothèse où ce dernier s’y conforme intégralement et les reprends tant au niveau de la partie écrite du PAP que de la partie graphique. Or, justement, les contestations relatives aux options urbanistiques fixées dans le schéma directeur, ont la plupart du temps pour vocation de voir supprimer tout ou partie de celles qui sont jugées problématique par l’administré auquel elles s’appliqueront ultérieurement. Dans ce cas, ledit administré entend précisément éviter que les règles découlant du schéma directeur soient reprises dans le PAP pour en faire partie intégrante…

Comme exposé ci-avant, et comme ledit administré ne peut pas contester en temps utile, les prescriptions fixées par les schémas directeurs au moment de leur adoption parallèlement aux PAG, ce dernier doit alors initier une procédure d’adoption d’un PAP contraire à ces prescriptions en sachant d’avance que – sauf éventuel accord de la commune pour y déroger – ledit PAP sera refusé.

Dans ces circonstances, l’administré perd beaucoup de temps, alors qu’il aurait pu agir en temps utile, au stade de l’élaboration du schéma directeur, sinon au stade de son approbation. En effet, c’est bien le schéma directeur qui fixe les éléments de balisage de l’urbanisation future d’un site.

On observera qu’à ce propos – certes en matière de demande d’autorisations de construire – que la Cour administrative a admis qu’un recours en annulation puisse être introduit « chaque fois que des éléments de balisage mis en avant par l’autorité compétente sont de nature à conditionner de manière définitive le projet d’urbanisation futur du propriétaire concerné et que ces éléments revêtent de la sorte un caractère à la fois détachable et décisionnel »[8]

Sous cet angle également, il nous semble qu’un recours directe contre un schéma directeur devrait être admis.

La position de la Cour n’est donc valable que dans l’hypothèse où un administré, n’est pas propriétaire d’un terrain soumis aux prescriptions du schéma directeur, et qu’il entend s’y opposer (par exemple, si le schéma directeur préconise de concentrer la densité de logement et de construction à proximité de la maison dudit administré, ou bien qu’il ne prévoit pas une coulée verte près de sa maison, mais à l’autre bout du lotissement, etc.). Dans cette seule hypothèse, il pourrait en pratique être affirmé que l’administré en question aura la possibilité de faire un recours contre le PAP NQ et, dans le cadre dudit recours, s’opposer aux prescriptions urbanistiques du schéma directeur, telles qu’intégrées au PAP.

Les réflexions de la Cour administratives pour justifier de l’impossibilité de quereller directement un schéma directeur lorsque le recours est introduit par un propriétaire qui sera tenu de respecter lui-même les prescriptions urbanistiques dudit schéma directeur, lors de la procédure d’adoption d’un PAP NQ, ne sont pas pertinentes à notre avis.

Un recours direct contre le schéma directeur devrait être recevable, à tout le moins dans cette hypothèse.

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour – Partner

[1]Article 29 (2) de la loi modifiée du 19 juillet 2004.

[2] Article 7 (2) c) de la loi précitée.

[3] Règlement grand-ducal du 25 octobre 2004 concernant le contenu du plan directeur et du rapport justificatif du plan d’aménagement particulier portant exécution du plan d’aménagement général d’une commune.

[4] Article 29 (3) de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version initiale.

[5] Article 7 (2) c) de la loi précitée, telle qu’aujourd’hui en vigueur.

[6] T.A., 15 avril 2020 n° 42071 du rôle ; voir aussi T.A., 19 octobre 2023, n° 46171 du rôle.

[7] Exposé des motifs, p.4, et commentaire des articles, ad article 6, p. 24.

[8] Cour adm., 17 juin 2014, n° 34153C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Urbanisme, n° 82 et les autres références y citées