Modifications concernant le régime de péremption des autorisations de bâtir

Une loi du 4 novembre 2024 est venue légèrement modifier le système de péremption des autorisations de bâtir.

Bref rappel : le but de la péremption des permis de bâtir

À la lumière des travaux préparatoires, il ressort que le système de la préemption des autorisations de bâtir a été instauré aux fins : « de lutter contre la spéculation, et plus particulièrement contre le dépôt de projets par des personnes qui n’ont pas réellement l’intention de les exécuter, mais qui entendent seulement donner aux fonds concernés une plus-value et qui empêchent, passé un délai, les autorités urbanistiques compétentes d’apprécier à nouveau librement le bon aménagement des lieux à cause de l’autorisation accordée. Il convient encore d’éviter qu’un propriétaire, en se prévalant de droits acquis, obtenu dans le passé et dont il s’abstiendrait cependant de faire usage, ne puisse faire indéfiniment échec aux prescriptions qui auraient été édictées dans la suite »[1] .

Si un permis est périmé, cela signifie que le bénéficiaire de permis ne peut plus l’exécuter, et qu’une nouvelle demande doit le cas échéant être réintroduite.

Il arrive – vu le principe de mutabilité des plans – que les règles d’urbanisme aient été modifiées entre-temps, et qu’un projet qui autrefois était autorisable, ne le soit désormais plus.

Le système antérieur : 1 (+ 1 + 1)

1.Un délai d’un an prorogeable deux fois

Suivant l’article 37, dans sa version applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi récente, les autorisations de bâtir périmaient de plein droit si, dans un délai d’un an, le bénéficiaire n’avait pas entamé significativement la réalisation des travaux.

Pour rappel, « Le critère de travaux entrepris est constitué par le premier acte d’exécution qui est posé sur le chantier, dans la mesure où ce travail matériel est conforme à l’implantation autorisée de la construction, à condition que les travaux entamés soient d’une importance suffisante et témoignent de l’intention réelle du bénéficiaire du permis de mettre celui-ci en œuvre et que lesdits travaux fassent l’objet du permis en question »[2].

Il a ainsi été jugé que les travaux de débroussaillage, en vue de préparer un terrain pour la construction d’un immeuble, ne constituent pas un commencement significatif des travaux[3].

Dans ce désormais ancien système, deux prorogations d’une année chacune étaient possibles.

En effet, l’article exposait : « Sur demande écrite et motivée du bénéficiaire, le bourgmestre peut accorder deux prorogations du délai de péremption d’une durée maximale d’une année chacune.  […] ».

Il s’agissait donc d’une faculté pour le Bourgmestre d’accorder ou non une, voire deux, prorogation(s). Ces prorogations étaient limitées au nombre de deux et étaient limitées dans le temps.

Pour résumer, le système était donc d’une année + (éventuellement) une année + (éventuellement) une année supplémentaire, soit trois ans au maximum.

Ces prorogations devaient être accordées avant que le permis ne soit périmé.

Il appartenait donc au bénéficiaire de permis d’être vigilant, et d’introduire à temps sa demande de prolongation motivée, ou d’entamer de manière significative les travaux, dans le délai d’un an.

Précisons toutefois que, suivant la jurisprudence devenue établie en la matière, le délai de péremption est suspendu pendant l’éventuel contentieux devant les juridictions administratives (précisant toutefois que la Cour a apporté quelques nuances récemment[4]).

2. Une date incertaine quant au début du délai

Auparavant, la loi restait muette quant au point de départ dudit délai de péremption.

Le Tribunal administratif[5] a pu exposer :

« Le tribunal constate ensuite que tant la loi du 19 juillet 2004 que les travaux parlementaires afférents restent muets quant au point de départ du délai de péremption annal prévu par l’article 37, alinéa 5 de la loi du 19 juillet 2004, contrairement à l’article R.424-17 du Code de l’urbanisme français[6], qui, dans l’hypothèse d’une décision expresse, fait courir le délai de péremption y prévu à partir de la notification de la décision en question ».

Eu égard à ce constat, compte tenu de l’intention du législateur gisant à la base de l’instauration du délai de péremption légal, qui, tel que relevé ci-avant, est celle de sanctionner l’intention spéculative du bénéficiaire du permis, mais non pas l’inaction excusable dudit bénéficiaire, empêché, notamment, par un cas de force majeure ou par le fait du prince d’entamer les travaux autorisés, et par une application par analogie de l’ancienne maxime « contra non valentem agere non currit praescriptio », reprise aux articles 2252 et 2253 du Code civil et signifiant en substance que la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir en justice[7], le tribunal retient que l’article 37, alinéa 5 de la loi du 19 juillet 2004 est à interpréter en ce sens que le délai de péremption y prévu ne court qu’à partir du jour où le permissionnaire a pris ou a pu prendre connaissance de l’autorisation lui accordée, étant donné que ce n’est qu’à partir de ce moment qu’il a effectivement la possibilité d’entamer les travaux, sans s’exposer à un risque de sanctions pénales, conformément à l’article 107 de la loi du 19 juillet 2004, pour avoir exécuté des travaux pour lesquels l’autorisation sollicitée ne lui est finalement pas accordée par le bourgmestre ».

Ainsi, le délai de péremption ne commençait à courir qu’à compter du jour où le bénéficiaire de permis a pu prendre connaissance de son autorisation.

Le nouveau système : 2 (+2)

1. Un nouveau délai de deux ans prorogeable une fois

Loi du 4 novembre 2024 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain expose à son unique article :

« L’article 37, alinéa 5, de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain est modifié comme suit :

 1° À la première phrase, les termes « d’un an » sont remplacés par les termes « de deux années à partir de la date de l’autorisation » ;

2° La deuxième phrase est modifiée comme suit :

a) Les termes « deux prorogations » sont remplacés par les termes « une prorogation » ;

b) Le terme « chacune » est supprimé ».

Ainsi, le délai de péremption passe d’une année à deux années, et une seule prorogation est possible.

Désormais, le système est donc de deux années + deux années, soit quatre années durant lesquelles le bénéficiaire de permis doit commencer les travaux significativement, pour autant que sa prorogation soit délivrée avant la péremption initiale.

Les explications relatives au début significatif de travaux, et la suspension de la péremption durant les procédures contentieuses devant les juridictions administratives restent transposables.

En effet, les travaux préparatoires exposent[8] :

« Mis à part le fait que le délai de validité de l’autorisation de construire a été doublé, le mécanisme de fonctionnement de l’article 37, alinéa 5 reste inchangé.

Une jurisprudence abondante et bien assise encadre cet article et en précise son fonctionnement[9].

Ainsi le mécanisme de péremption de l’autorisation de construire, qui consiste dans la caducité de l’acte, continue de s’opérer de plein droit par le simple fait de l’expiration du délai si le bénéficiaire de l’autorisation de construire n’a pas entamé les travaux de manière significative.

Le fait d’entamer les travaux de « manière significative » est également encadré par la jurisprudence administrative en la matière[10].

Ainsi la jurisprudence précise que le critère de travaux entrepris de manière significative est constitué par le premier acte d’exécution qui est posé sur le chantier, dans la mesure où ce travail matériel est conforme à l’implantation autorisée de la construction, à condition que les travaux entamés soient d’une importance suffisante, qu’ils témoignent de l’intention réelle du bénéficiaire de l’autorisation de construire de mettre celui-ci en œuvre et que lesdits travaux fassent l’objet de l’autorisation de construire en question ».

 2. Une date certaine quant au début du délai de péremption

Tel que cela l’a été rappelé avant, la loi était auparavant muette quant au commencement du délai de péremption, si bien que les juridictions administratives se sont attardées sur la question.

Désormais, le nouvel article prévoit que ce délai démarre à compter « de la date de l’autorisation ».

Les travaux préparatoires exposent : « La date exacte de départ du délai des deux ans est désormais précisée dans le texte et correspond à la date ou l’autorisation a été rendue et signée par le bourgmestre ».

Si ce système permet de donner une date sûre, force est toutefois de constater qu’il peut être injuste alors qu’il ne s’accompagne pas d’une obligation, pour le Bourgmestre, de notifier au demandeur l’obtention de son permis.

En effet, il se pourrait que le demandeur n’en soit pas informé, de sorte que le délai de péremption aurait déjà commencé à courir avant même que le bénéficiaire ne sache qu’il peut exécuter les travaux !

 3. Application dans le temps de la nouvelle loi

Se pose encore nécessairement la question de savoir si ce nouveau délai s’applique uniquement pour les nouvelles autorisations délivrées à partir du 11 novembre 2024 (date d’entrée en vigueur de la loi modificative) ou s’il agit rétroactivement.

Ni la loi, ni les travaux préparatoires ne s’attardent manifestement sur cette question.

Le Ministre des Affaires Intérieures, dans une Circulaire n° 2024-084, expose que cette rétroactivité concernerait « toutes les autorisations de construire qui ont été délivrées il y a moins d’une année à compter de l’entrée en vigueur » de la loi[11].

Les auteurs seraient plutôt d’avis que ce nouveau délai devrait, de manière générale, bénéficier à toutes les autorisations de bâtir non périmées au 11 novembre 2024 – rappelant qu’il ne faut pas négliger les quelques cas particuliers exposés dans cet écrit[12], [13],  [14]  – et ceci sauf à supposer que le permis ait spécifié dans ses conditions qu’il périme à compter d’un délai d’une année.

Dans cette hypothèse précise, il s’agit en effet d’une condition inscrite dans l’autorisation elle-même, de sorte qu’elle ne saurait être modifiée automatiquement par l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi.

Dans cette hypothèse (et si les travaux n’ont pas été entamés), on ne peut que conseiller au bénéficiaire de permis – si du moins la réglementation urbanistique n’a pas été modifiée et permet toujours le projet – de solliciter au bourgmestre une nouvelle autorisation, avec un délai de péremption de deux ans cette fois.

 

Conclusion

Ce qui apparaissait a priori comme une légère modification en matière de délai de péremption des permis de bâtir ne l’est en réalité pas, alors que le jour du départ du délai de péremption est désormais certain.

Il s’agit de la date de délivrance de l’autorisation, de sorte que ledit délai de péremption commence à courir même si le bénéficiaire de permis n’est pas informé de l’existence de ladite autorisation.

Quelques incertitudes légitimes se posent concernant l’application dans le temps de cette nouvelle loi.

Me Élie DOHOGNE – Avocat à la Cour – Senior Associate

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour – Partner


[1] Projet de loi n° 44863 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, Commentaire des articles, ad. art. 36.

[2] CA, 22-03-11 (27480C).

[3] TA 6-10-10 (25781 et 25785).

[4] https://www.krieger-avocats.lu/blog/blog-detail.html?blogidarticle=518&blogidcatsideback=14&blogstartmonth=5&blogmonthback=-1&blogcategory=4

[5] T.A. 24-6-24 (46946).

[6] Art. R.424-17 du Code de l’urbanisme français : « Le permis de construire, d’aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l’article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. […] »

[7] Voir, quant à cette maxime : Cour adm., 13 décembre 2018, n° 41580C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Urbanisme, n° 980.

[8] Projet de loi n° 8369 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, Exposé des motifs et commentaire de l’article unique, p. 2 et 3.

[9] Voir notamment les jugements suivants du Tribunal administratif (« TA ») et de la Cour administrative (CA). TA 6-10-10 (25781 à 25788); CA 22-3-11 (27480C); TA 18-5-11 (27100); TA 13-10-14 (33081 et 33105); TA 20-4-16 (35819); TA 27-4-16 (36005); TA 29-6-16 (36363) TA 13-10-14 (33081 et 33105); TA 27-4-16 (36005); TA 29-6-16 (36363) TA 6-10-10 (25781 à 25788); TA 20-4-16 (35819); TA 25-3-19 (37804) TA 25-3-19 (37804).

[10] TA 6-10-10 (25781 à 25788); TA 20-4-16 (35819); TA 25-3-19 (37804).

[11] https://maint.gouvernement.lu/fr/circulaires/circulaires2024/circulaire-2024-084.html

[12] Rappelons-nous que le délai de péremption, dans l’ancien système, ne commençait pas à compter de la délivrance de l’autorisation, mais seulement à partir du moment où le bénéficiaire de permis a pris connaissance, ou pu prendre connaissance, de cette décision. Ainsi, si une autorisation a été délivrée en date du 1ier novembre 2023, mais que son bénéficiaire n’a pu en prendre connaissance que le 15 novembre 2023, nous sommes d’avis qu’il devrait bénéficier d’un délai de deux pour la péremption de son permis, et non une seule année.

[13] Avec le mécanisme de la prorogation, une autorisation de bâtir pourrait très bien avoir été délivrée avant le 11 novembre 2023 et avoir fait l’objet d’une ou deux décisions de prorogation, de sorte à ne pas être périmée à la date du 11 novembre 2024.

[14] Il a également été exposé ci-avant que suivant la jurisprudence constante des juridictions administratives, le délai de péremption des autorisations de bâtir est en principe suspendu pendant les délais d’instance ; de sorte à ce qu’une autorisation datant de bien avant le 11 novembre 2023 pourrait ne pas être périmée à la date du 11 novembre 2024.