Analyse de la loi du 23 juillet 2024 portant modification de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil.
La réforme du bail à usage d’habitation – une réponse juridique et politique
Initialement déposé le 31 juillet 2020, le projet de loi n°7642 a été adopté le 10 juillet 2024. La dispense du second vote constitutionnel s’en est suivie le 12 juillet 2024. La loi du 23 juillet 2024 est entrée en vigueur le 1er août 2024 et s’applique donc à tous les contrats de bail conclus à partir de cette date Elle vient modifier (i) certaines dispositions de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation ainsi que (ii) l’article 1714 du code civil.
Au vu du caractère très actuel et politique du sujet du logement au Grand-Duché de Luxembourg, le projet de loi a non seulement subi de très nombreuses modifications au cours du processus parlementaire, suite à plusieurs séries d’amendements gouvernementaux, mais il a également donné lieu à de vifs débats, tant auprès des professionnels du droit et de l’immobilier, qu’auprès des classes grandissantes de bailleurs et locataires du Grand-Duché, qui attendaient avec impatience de voir comment leurs investissements et projets d’investissement seraient impactés.
En effet, la demande croissante en besoins de logements impliquait pour le législateur d’apporter une solution à un double défi visant à redorer le blason de l’investissement locatif tout en renforçant la protection des locataires. En guise de réponse, le législateur a tenté de fournir un cadre légal permettant d’aller dans le sens d’une meilleure protection du locataire sur des points, non autrement réglementés par les dispositions légales lapidaires, qui ont souvent provoqué des éventuels excès de part et d’autre, tout en fournissant plus de sécurité juridique au propriétaire quant à son retour sur investissement. Nous passons ci-dessous en revue les changements essentiels opérés par la réforme avec les questions qui pourraient donner lieu à des difficultés d’interprétation dans le cadre de l’application de certaines dispositions dans la pratique. L’analyse des différents changements opérés par la réforme de 2024 fera l’objet d’articles séparés.
Partie I
Exigence d’un contrat écrit et contenant des mentions obligatoires
I.1. Un contrat écrit
Sous l’ancienne législation, l’article 1714 du Code civil, qui prévoyait “On peut louer ou par écrit, ou verbalement” est modifié. Désormais, la conclusion d’un contrat de bail à usage d’habitation devra obligatoirement être passé par écrit[1]. Les autres baux, commercial ou professionnel, ne sont pas affectés par cette disposition. Il y a également lieu de relever que les baux verbaux conclus avant l’entrée en vigueur de la prédite loi restent valables.
I.2. Des mentions obligatoires
De plus, l’exigence d’un écrit entraîne une autre obligation puisque depuis le 1er août 2024, date de l’entrée en vigueur de la loi, tout contrat de bail à usage d’habitation doit contenir, sous peine de nullité, plusieurs mentions obligatoires, à minima :
- l’identité complète de toutes les parties contractantes,
- la date de prise d’effet du bail,
- la désignation de toutes les pièces et parties de l’immeuble couvrant l’objet du bail,
- le montant du loyer,
- le montant des acomptes sur les charges ou du forfait pour charges,
- le supplément de loyer pour le mobilier,
- le montant de la garantie locative éventuellement stipulée,
- la mention suivant laquelle le loyer sollicité par le bailleur respecte le plafond légal du loyer annuel.
Il est à relever aussi que les mentions énumérées ci-avant devront figurer aussi dans les contrats de bail de colocation, soumis à la loi modifiée du 21 septembre 2006 portant sur le bail à usage d’habitation.
I.3. La nature de la sanction de la nullité
Ainsi, les 8 indications obligatoires précitées (mentionnées sous l’article 5 de la prédite loi) doivent être mentionnées dans le contrat de bail, sous peine de nullité. Cette sanction de nullité nous interpelle à deux niveaux :
- premièrement, la formulation de cette sanction de la nullité fait l’économie d’explications relatives au sort du contrat dans le cas où une ou plusieurs des mentions obligatoires feraient défaut volontairement ou involontairement. La loi n’a pas prévu ou n’a pas voulu réglementer une telle hypothèse, que nous pouvons certainement envisager dans l’avenir. Dans un tel cas, l’absence de l’une de ces indications rend-elle nulle l’intégralité du contrat ? Ce sera une des questions à toiser par les juges.
- deuxièmement, le législateur reste muet sur les caractéristiques de cette nullité. S’agit-il d’une nullité relative (ayant vocation à être soulevée uniquement par l’une des parties au contrat), ou d’une nullité absolue (pouvant être invoquée par tout le monde, tiers au contrat, y compris par le juge )? Dans la mesure où la loi est muette à sujet, il y a lieu de rechercher la volonté du législateur, le ratio légis. A ce titre, les travaux parlementaires, et notamment l’avis du Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg du 26 avril 2023[2], tendent à qualifier la sanction d’une nullité absolue, à défaut de précision dans le texte de loi. Cela implique que lors d’un litige, le juge peut soulever et prononcer la nullité du bail sans que l’une des parties n’ait à se prévaloir de tel argument.
En outre, nous pouvons faire un parallèle avec les dispositions de l’article 12 (3) de la loi du 21 septembre 2006[3] relatives aux mentions obligatoires dans le cadre d’une résiliation du bail pour le besoin personnel qui sanctionnent également de nullité le défaut de mention dudit paragraphe dans la lettre de résiliation, texte légal ne précisant pas non plus la nature de la nullité. En l’absence de précision, la jurisprudence a pallié cette lacune de la loi en retenant que c’est une nullité absolue pouvant être soulevée d’office par le juge[4]. Il y a de forte chance que le même raisonnement soit appliqué aux dispositions de l’article 5 précité.
Frais de commission de l’agent immobilier
La pratique permettait jusqu’alors au bailleur de mettre à charge du locataire entrant de régler l’entièreté du montant de la commission de l’agent immobilier, même si l’intermédiaire de celui-ci avait été requis uniquement par le bailleur. Selon la pratique, ce montant est égal à un (1) mois de loyer, augmenté de la TVA.
Afin de donner une satisfaction aux locataires, le législateur est venu encadrer cette pratique. Désormais en cas d’intervention d’un agent immobilier ou d’un tiers dans la location d’un logement à usage d’habitation, les frais et honoraires relatifs à cet intermédiaire seront partagés, par moitié, entre le bailleur et le locataire. Le principe du partage à part égale de ces prédits frais n’est pas un problème en soit. Cependant, le législateur, en ne réglementant ni la notion de tiers, ni le montant des honoraires, sans aller jusqu’au bout de cette protection, va certainement donner lieu à de nombreux procès qui seront en relation soit avec le quantum des honoraires, soit à la mise en place de certaines pratiques via des clauses contractuelles.
(to be continued )
Me Sevinc GUVENCE – Avocat à la Cour – Senior Associate
Me Laure NACACHE – Avocat à la Cour
[1] Nouvelle version de l’article 1714 Code civil : “On peut louer par écrit ou verbalement, sauf en ce qui concerne le bail à usage d’habitation, qui ne peut être conclu que sous une forme écrite”.
[2] N°7642 (15), commentaires des articles, p. 2
[3] “(3) Par dérogation à l’article 1736 du Code civil, le délai de résiliation dans les cas prévus au paragraphe (2) point a, est de six mois. La lettre de résiliation doit être écrite, motivée et accompagnée, le cas échéant, de pièces afférentes et s’effectuer par voie de lettre recommandée à la poste avec avis de réception. Elle doit mentionner, sous peine de nullité, le texte du présent paragraphe”
[4] Justice de paix de Luxembourg, 5 avril 2017, n° de rôle 1525/17 ; TAL, 24 mars 2015, n°166155